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CHLOE SILBANO

Depuis quand travaillez-vous dans cet atelier et comment l’avez-vous trouvé au départ.

J’ai mon atelier chez Poush depuis un an. C’est un immeuble de bureaux où Manifesto a invité 200 artistes. J’étais précédemment avec Manifesto à L’Orfèvrerie, un espace tout à fait différent puisqu’il s’agissait des anciennes usines de coutellerie Christofle, inscrit aux Monuments Historiques.

Ici c’est tout autre chose, j’ai dû aménager mon espace pour faire en sorte qu’un bureau réponde aux nécessités qu’impose un atelier d’artiste: retiré la classique moquette de bureau, ouvert un peu plus l’espace en enlevant le faux-plafond etc.
C’est un lieu très actif et ouvert sur l’extérieur, avec de nombreuses portes ouvertes, et l’occasion de rencontrer tous les acteurs de l’art contemporain.

Quel est votre processus de travail au quotidien ?

Je réalise peintures, sculptures et vidéos. Et chaque pratique en englobe souvent une autre. Par exemple, je fabrique des objets que j’utilise ensuite dans des actions qui donnent lieu à une pose pour la peinture, ou à une vidéo lorsqu’il y a un déroulé.
Ainsi au quotidien, je passe d’une pratique à l’autre.

La notion de recherche est importante pour moi, cela va avec la curiosité que j’ai d’explorer des formes nouvelles et des techniques autres. Je développe des formes en céramique récemment, et en ce moment je cherche une collaboration avec un bartender pour un projet de cocktail s’inscrivant dans une grande installation.
J’alterne donc entre la pratique, le temps à réaliser concrètement, et les moments de conseil, de mises en relation, à l’extérieur de l’atelier.

Avez-vous des habitudes fixes dans le travail ?

En général, je vais à l’atelier un jour sur deux. C’est important pour la peinture surtout. Laisser reposer la vision que l’on se fait du tableau pendant une journée permet « d’oublier » et de revenir avec un regard neuf. Même si j’emporte toujours une photo sur mon téléphone. Le changement de format (d’un à deux mètres dans l’atelier à quelques centimètres dans la main) permet une autre lecture pendant cette journée d’absence physique.

Je peins en général pendant une heure ou deux avant de m’interrompre pour une partie d’échecs, et de reprendre, avant de changer de pratique. Je ne travaille qu’en étant pleinement concentrée, le jour donc, sans distractions au moment où je suis à ma tâche.

Quel est votre processus de conception/préparation avant de vous mettre à la réalisation concrête d'une oeuvre?

La plupart du temps, tout démarre avec une intuition, souvent sur plusieurs mois, qu’il faut expérimenter, d’abord sous la forme d’une sculpture ou d’un geste, qui évolue et se transforme. C’est la pratique même qui fait que la forme finale va advenir, par l’expérience. D’où l’importance du travail en atelier donc puisqu’il ne s’agit jamais de la réalisation exacte d’une vue de l’esprit, du premier jet.

Qu’est-ce qui vous a amené sur ce chemin d’artiste ?

Je dessine depuis toujours. C’était dès le départ quelque chose de plus évident même que le fait de parler. C’est une manière d’être au monde ; constitutif je dirai. J’ai d’abord fait des études en graphisme avant d’enter aux Beaux-Arts de Paris. Mais même après être sortie diplômée avec les félicitations du jury, j’ai mis quelques temps avant de me dire artiste tant l’enjeu était important pour moi.

Depuis, je développe avec joie mon travail, au quotidien, et en confiance pour la suite.

Comment vivez-vous ces périodes de pandémie depuis 2020 ? La situation du monde actuelle a-t-elle influencé votre travail ou vos réflexions ?

Cette année 2020 a été particulièrement dure dans la mesure où elle a stoppée tous les projets, et surtout celui que j’attendais avec impatience: la résidence à Yishu8 Pékin. L’année précédente je participais à une exposition à Gr_und Berlin. On est malheureusement passé de l’ouverture sur de nouvelles scènes au confinement.

J’ai tiré parti de cette période en me concentrant sur mon travail, en l’adaptant aux possibles très limités que nous connaissions. J’en suis revenu à l’essentiel donc, papier et crayon. J’ai réalisé une série de dessins « Faire des pieds et des mains » avec des poses simples, de pieds, de mains, de pieds de chaises ; où la notion de pose, d’appuis, de gravité primait. Se positionner.
Il s’agissait de revenir à l’essentiel, tant dans la forme que dans le fond. A cela, il m’a semblait important de créer du lien autrement. J’ai donc proposer à l’écrivain Boris Bergmann d’écrire un texte en résonance avec cette série, et à Gr_und de développer un projet éditorial.

J’ai développé ensuite une série de peintures, « Plombé ». Des objets, entre le fil à plomb et le pendule sont attachés à différents endroits du corps; celui-ci adopte une posture particulière pour les faire arriver au ras du sol. L’inverse de l’ergonomie en somme. Cette série prolonge cette question quant à la gravité.

Vous travaillez sur quoi en ce moment ?

En ce moment, et toujours comme une solution à la crise, je développe une série de vidéos avec le réalisateur Christophe Bisson. Nous avons tourné plusieurs séquences à Poush, et au Saint-Sépulcre, dans une église du XIIIème siècle, classée Monument Historique à Caen.
Entre deux confinements, ces tournages ont été une bouffée d’oxygène et une manière de continuer à développer des projets avec des amis.
Toujours avec des amis, je répondrai à l’invitation de Yohann Quëland de Saint-Pern, pour une exposition collective autour du silence à La Box, à la Réunion. Je participerai également à un programme de recherche biodiversité et art, avec La Fabrique des Récits, qui s’ouvrira à Marseille en septembre avec le Congrès Mondial pour la Nature.

Choisissez un objet dans ton atelier et racontez-nous son histoire

Je vais vous parler d’un objet composite que je suis en train de réaliser. Il s’agit d’un verre à pied, avec un miroir sous la base. J’y sers une boisson à mes invités. En déambulant dans l’espace, le verre à la main, le miroir enregistre le sol. La surface de la boisson, elle, serait reflet du « en-haut ».
Après l’année que l’on vient de passer, privés de l’essentiel que s’est avéré être le fait de prendre un verre, il m’a semblé intéressant de développer ce projet.

C’est un assemblage complexe d’éléments qu’il a fallu déterminer, choisir sur mesure et modeler pour ce qui est du pied. Ce fut un processus de recherche assez long, mais un cheminement qui permet aussi de penser aux prochaines intuitions tout en faisant quelque chose.

Pouvez-vous partager un artiste que vous admirez ?

J’ai adoré l’exposition d’El Greco au Grand Palais. Je connaissais évidemment déjà son œuvre et j’en avais vu quelques tableaux en Italie, mais beaucoup s’est révélé alors. Au-delà du commentaire quant à la scène représentée, les tableaux se lisent sur le plan plastique. Il opère des correspondances de traitement entre la bouche ligne rouge du frère et le signe de la croix comme creusée sur son habit ; avec Sainte-Véronique, le visage du Christ s’inscrit dans le ligne tendu par la jeune femme au visage lui-même encadré par son voile ; ainsi mis en relation directe chaque élément colore l’autre de sa symbolique.

Ce qui m’avait marqué surtout, c’était Le partage de la tunique du Christ. Malgré son titre, l’œuvre ne montre pas cet instant puisque l’habit est intacte. C’est donc qu’autre chose s’y joue. Et en effet, le partage s’opère, par le dispositif. L’armure en métal de l’homme juste à côté du Christ se pare du reflet rouge de la tunique. C’est donc en composant la scène, que l’objet choisi accomplira l’éclatement de l’habit, sans même l’avoir touché.

Pouvez-vous partager une œuvre que vous avez vu récemment, et comment elle vous a inspiré ?

Je pourrai vous parler de Raban Maur, moine copiste au IXe siècle. Ce rapport très particulier entre l’image et le signe m’avait marqué. Ils sont imbriqués ou alors le texte devient image, avec une variété de formes incroyable.
Pour que le signe advienne, le « non-peint » de mes peintures a une place importante. Je ne cherche pas à remplir de couleur, comme un coloriage naturaliste. Je peins en pleine attention à ce surgissement, avec un moment à ne pas dépasser.
Et quand je sens qu’un déséquilibre s’installe, je peux recadrer ma toile. C’est d’autant plus évident lorsque je peins sur de la toile libre.
D’une manière générale, l’imagerie du Moyen-âge m’intéresse. C’est un ici pourtant très loin, avec ses codes qui nous dépaysent; dépaysement que j’espère renouveler avec Chine, bientôt.

Quel serait un atelier idéal pour vous ?

Un atelier idéal serait celui qui m’apporterait un accès à des techniques que je ne maîtrise pas. Par exemple en ce moment, je commence à réaliser des céramiques à Poush parce que j’ai pu avoir accès à un four. Cela ouvre un champs intéressant.

Avoir de l’espace également serait un luxe nécessaire.

Article à retrouver sur: https://mp.weixin.qq.com/s/YjaQt9TlBLNyqYCkPExbuw